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L'Avignon du festival

Le festival d’Avignon est intimement lié à la cité qui l’a vu naître. La ville – dans ses composantes territoriales, humaines, politiques et organisationnelles – et l’évènement se sont réciproquement alimentés et transformés au cours des décennies. Si bien qu’ils forment aujourd’hui une paire indissociable.

Découvrez à travers l'exposition virtuelle L'Avignon du festival, l'histoire des liens entre la ville et son festival...

Transposition virtuelle de l’exposition de 2016.

Mise en ligne

en 2022.

Les festivals ont le vent en poupe. Originellement fils des villes, ils prennent racine dans des lieux souvent clairement circonscrits et chargés de sens, qui ne se laissent pas déborder facilement. Limités dans un temps donné, ils ont une périodicité régulière et constituent un rendez-vous annuel. Ils mêlent loisir, culture et tourisme.

Le festival d’Avignon est intimement lié à la cité qui l’a vu naître. La ville – dans ses composantes territoriales, humaines, politiques et organisationnelles – et l’évènement se sont réciproquement alimentés et transformés au cours des décennies. Si bien qu’ils forment aujourd’hui une paire indissociable. L’implantation avignonnaise du festival n’est pas un hasard. Le festival s’est nourri et se nourrit de la ville.

En retour, il nourrit la ville économiquement et culturellement. Et s’il métamorphose l’espace urbain très visiblement pendant la manifestation, il marque aussi son empreinte durablement : aménagement urbain, circulation, organisation des services, espace vécu par les habitants, rythme de la vie de la cité, attachement et non-attachement des acteurs locaux à l’évènement, rayonnement et identité de la ville, etc.

Introduction

Repères historiques

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Cette frise chronologique est bien loin d'être exhaustive. Elle vise à donner sommairement quelques dates-rêves sur l'histoire du festival d'Avignon, l'histoire urbaine et les relations entretenues entre la ville et le festival.

Repères historiques
Sommaire principal
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Le festival s'empare   de la ville 

Sommaire du chapitre

I. Le festival s'empare de la ville

Pourquoi Avignon ?

Pourquoi Avignon ?

Pourquoi le festival d’Avignon a-t-il élu domicile à Avignon ? Et pour quelles raisons a-t-il pu y perdurer ?

La question est complexe, mais on peut établir plusieurs éléments d’explication.

Voilà, c’est tout simple. Il était une fois un homme et une ville, qui se rencontrèrent, s’aimèrent, et eurent un enfant nommé Festival.

Au printemps 1947, Yvonne et Christian Zervos travaillent à la préparation d’une exposition d’art moderne pour la Grande Chapelle du Palais des papes. Elle est organisée pour la semaine du 4 au 10 septembre. Par l’entremise du poète vauclusien René Char, ils proposent à Jean Vilar d’accompagner cette exposition par une représentation de Meurtre dans la cathédrale de Thomas Stearns Eliot, qui a connu un franc succès à Paris, au Théâtre du Vieux-Colombier.

 

Ils souhaitent en effet mêler les arts et les époques dans le cadre d’une véritable Semaine d’art. Vilar refuse, puis propose un projet théâtral d’une autre envergure : la création de trois nouveaux spectacles dans la cour d’honneur du palais. Les Zervos n’ont pas les moyens de financer cette proposition.

 

Mais le maire communiste d’Avignon, le docteur Pons, est séduit par l’idée, dans laquelle il entrevoit la possibilité de bâtir de nouveaux ponts entre les habitants et de donner un nouveau souffle au rayonnement à la ville. Il fait ainsi voter par le conseil municipal une subvention exceptionnelle. Jean Vilar complétera la somme sur ses propres deniers.

(Jean Vilar, 1963)

Le contexte de 1947 est décisif. Cet embryon de festival s’implante dans une ville de 60 000 habitants, en province, dans l’après-guerre, alors que les profondes divisions des temps d’occupation, les cartes de ravitaillement et les traces des bombardements de 1944 sont encore omniprésentes. Les premières éditions du festival naissent dans une soif de théâtre, d’évasion, de pensée et de retour à la vie des temps de paix. Les festivals de la fin des années 1940 sont par beaucoup - et notamment par les jeunes adultes - vécus comme une revanche sur la période de guerre.

Une éclaircie dans une époque troublée. 
(Suzanne, témoin interrogée par Bernard Weisz vers 1996)
La taille de la ville correspond parfaitement à l’évènement.
(Paul Puaux, interview dans Études Vauclusiennes n°11, 1974)

Des éléments urbains et géographiques peuvent expliquer l’inscription du festival dans la durée.

La dimension de la ville, la densité de son histoire médiévale et son attractivité touristique autour d’un monument phare en font un lieu d’implantation idéal. La morphologie urbaine, avec un centre-ville bien délimité et contenu par des remparts, des places animées, des rues sinueuses héritées du plan médiéval, un patrimoine bâti riche et reconnu favorisent aussi le développement d’un espace festif à taille humaine, dans lequel il fait bon se rencontrer, partager, converser. Enfin, la situation géographique de la ville est aussi un atout pour un festival de plein air. Dans la vallée du Rhône, les étés sont le plus souvent ensoleillés. Les traditions urbaines et de rencontre dans les rues et sur les places sont déjà fortement ancrées dans cette ville méditerranéenne.

Le festival en son palais

Le Festival en son palais

Le Palais des papes est la matrice du festival, ou du moins, son cœur vibrant, son théâtre mythique, symbolique et incontournable chaque année.

C’est la cour d’honneur que Jean Vilar choisit entre les différentes possibilités qu’offrait le « château », comme il aimait l’appeler, lorsqu’il vint faire un repérage avant la Semaine d’art de 1947. Il dira cependant qu’elle est un « mauvais lieu de 

théâtre ». Massive, déjà chargée de sa propre histoire et d’une grande solennité, vectrice d’émotions à elle seule, la grande cour du palais est un espace difficile. La rencontre, sous un ciel étoilé, dans le mistral, ou dans la douceur de l’été, entre le « monument roi » de la ville et un spectacle qui sait s’y fondre ou s’y imposer peut provoquer une émotion hors du commun, un choc issu de la confrontation de temporalités et d’arts différents. La cour a cette magie qui peut donner de la puissance aux textes. Mais parfois, le monument écrase le théâtre.

 

Le Palais des papes, en revêtant un rôle central dans la tenue du festival, ne s’est aucunement défait de son importante fonction touristique. La cour a concilié, bon an, mal an, ces deux impératifs conjoints et parfois contradictoires.

Quand on entre dans la cour, la cour à nu, c’est un lieu informe. Je ne parle pas des murs, mais du sol. Techniquement, c’est un lieu théâtral impossible. Et c’est aussi un mauvais lieu théâtral, parce que l’histoire y est trop présente. 
(Jean Vilar, 1963)

Léon Degand parlera d’ « épreuve du mur » pour signifier la difficulté de mettre en scène dans la cour d’honneur. Selon les périodes, la cour a inspiré les metteurs en scène et les décorateurs ou, au contraire, les a intimidés voire a bloqué toute prise de risque artistique. Paul Puaux, qui assura la direction du Festival de la mort de Jean Vilar (mai 1971) jusqu’en 1979, éprouva des difficultés à programmer les spectacles de la cour d’honneur. Alain Crombecque, directeur du Festival entre 1985 et 1992, a dû faire face à l’apparente paralysie artistique suscitée par cet espace réputé difficile. Mais la programmation dans la cour d’honneur constitue toujours une forme de rite de passage mémorable tant pour les metteurs en scène et comédiens que pour les spectateurs.

Confronter le mouvement sans fin des corps, la musique sonore et abstraite de John Cage, aux pierres grises de l’histoire.
(Merce Cunningham, chorégraphe, Le Monde, 28 juillet 1976)

L’orientation de la scène de la cour d’honneur n’a jamais été modifiée en 70 ans. Mais ses dimensions et les modalités d’installation des spectateurs ont connu plusieurs âges. Il a en effet fallu prendre en compte le vieillissement des matériaux d’un dispositif (scène, gradins) utilisé, démonté et remonté chaque été. Il a aussi été nécessaire d’être à l’écoute des évolutions techniques à apporter pour suivre les modes dans lesquelles s’inscrivent les metteurs en scène. On a aussi veillé à maintenir ou à rétablir la bonne acoustique naturelle de la cour.

La cour primitive a été dessinée sur la base des projections de Jean Vilar par l’architecte avignonnais Georges Amoyel. La scène était immense : elle mesurait 10 mètres sur 8 et elle était prolongée de passerelles inclinées reliant les deux côtés de la cour. Pour les spectateurs, on installa 2000 chaises de jardin simples, plus tard remplacées par des bancs.

À l’occasion du cycle Shakespeare d’Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil en 1982, c’est le décorateur de la troupe, Guy-Claude François, qui dessina le nouveau dispositif de la cour d’honneur. Il intégra des balcons élisabéthains, auxquels on reprochera malheureusement de grincer, et des sièges rouges, marques d’une forme de rupture avec les souhaits du fondateur du Festival d’Avignon. Vilar était en effet peu enclin à la reprise des codes traditionnels bourgeois du théâtre.

Enfin, en 2002, l’aménagement plus frontal qui perdure aujourd’hui était mis en place. La jauge fut réduite à un peu moins de 2000 places.

Les changements de dispositifs dans la cour ont accompagné les tournants importants de l’histoire du Festival. En 1952, alors que s’ouvrait la décennie au long de laquelle Jean Vilar dirigea aussi le Théâtre National Populaire (TNP) à Paris, Georges Amoyel fut de nouveau l’architecte d’une scène de tréteaux, dont la sécurité fut accrue après plusieurs chutes de comédiens au cours des répétitions.

 

Les années 1960 ont connu l’avènement des chaises en plastique. La cour offrait alors près de 3000 places, sans compter les escaliers, pour lesquels des billets étaient parfois vendus. En 1967, année de réforme importante dans la politique de programmation du Festival, avec l’entrée du cinéma qui a succédé à l’introduction de la danse l’année précédente, la cour a presque pris la forme d’un amphithéâtre.

Un festiva de pierre

Un festival de vieilles pierres

Le festival d’Avignon a progressivement investi des édifices anciens, religieux, mais aussi civils. Le Palais des papes, incontournable monument phare de la ville connu et reconnu a longtemps été presque le seul lieu du festival. Mais la deuxième partie des années 1960 a vu le début de la multiplication des lieux impliqués dans la manifestation.

Avignon, ville de taille moyenne, ne possède pas d’autre structure dédiée spécialement au spectacle que son théâtre municipal. Mais elle est riche d’un patrimoine bâti très important, hérité de son histoire singulière, tout particulièrement dans son rôle de capitale éphémère de la papauté au 14e siècle. Les cloîtres, les églises et les chapelles, parfois dans un état de réel abandon, vont faire l’objet d’un repérage minutieux pour identifier ceux qui seraient susceptibles d’être transformés en lieux de représentation pour le festival.

 

Avec l’apparition du Off ou du « hors-festival », comme on l’appelle d’abord, bien des espaces deviennent théâtres éphémères. Certains, comme le Théâtre Benoît XII, seront d’abord scène du Off puis

« récupérés » par le Festival dit « officiel ». Ou inversement, comme l’ancienne condition des soies, rue de la Croix.

Le festival est l’occasion d’une réelle redécouverte du patrimoine bâti et de l’espace vécu par les habitants et par leurs élus.

Le Festival sera le levier incontestable de dynamiques de restauration d’édifices anciens. Au-delà, il a même constitué une façon d’accompagner des quartiers dans un nouvel élan. Le choix du cloître des Carmes est à ce titre intéressant. Élisabeth Barbier, amie avignonnaise de Jean Vilar qui enquête pour lui au milieu des années 1960 sur les lieux possibles à investir, n’y est d’abord pas favorable, tant il se situe alors dans un quartier délabré et pauvre. Jean Vilar y perçoit au contraire un enjeu local très intéressant.

Il est également heureux que ce festival se soit étendu du Palais des papes au cloître des carmes et au cloître des célestins, faisant ainsi connaître des monuments de qualité et donnant une certaine vie à ses quartiers. 
(Henri Duffaut, maire, débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 26 février 1968)

Le festival a aussi occasionné, parfois, quelques détériorations dans les monuments historiques qui subissent par exemple le passage plus ou moins délicat des engins de transports et de levage. La manifestation annuelle a impliqué en outre que certains lieux soient peu paysagés pour se métamorphoser aisément, comme le cloître des Carmes. Le cloître des Célestins, quant à lui, est fermé au public en dehors du mois de juillet, et l’ossature métallique de la scène et des gradins n’est pas systématiquement démontée entre deux éditions du festival.

Bâtiments Art Déco
(Lucien Attoun, vers 1971)
Tout ce que vous voulez, mais un toit ! 

Les spectacles doivent résonner et jouer avec les lieux dans lesquels ils sont donnés. Ils ne peuvent pas s’en affranchir. Le résultat est souvent maladroit quand un metteur en scène ou un décorateur tente d’aller contre le lieu.

Dans les cours et dans les cloîtres, le plein air impose des contraintes particulières. Certains projets requièrent un espace clos, « contenu », et guident le choix de nouveaux lieux. C’est le cas de la chapelle des Pénitents blancs pour Théâtre Ouvert, projet original porté par Lucien Attoun dans les années 1970 et dont le but est de faire découvrir des textes contemporains inédits. On pense aussi à des lieux plus quotidiens, avec par exemple le gymnase du lycée Aubanel, dont la première utilisation est demandée pour une pièce créée par Tadeusz Kantor, qui préféra un lieu fermé (1985).

En raison de son emplacement, au cœur de la ville, et de son caractère architectural, cette chapelle, où aucun culte n’est célébré depuis de longues années, nous a paru convenir parfaitement comme lieu scénique supplémentaire, à l’occasion du festival et en dehors éventuellement de la période estivale. 
(Henri Duffaut, maire, présentation d’une délibération relative à la convention d’occupation de la chapelle des Pénitents blancs, 23 mars 1972)
Le festival s'empare de la ville

Le festival s'empare de la ville

Quelques semaines par an, la ville change de visage. Avignon devient une ville de festival. Elle prend des couleurs et une atmosphère différentes. Une partie de la ville se tourne complètement vers l’évènement qu’elle accueille. Dès 1973, on comptabilise plus de spectacles dans ce qu’on appelle désormais le Off, que dans le Festival « institutionnel ». Et pourtant le In ne désemplit pas, au contraire !

Cartes réalisées par François Segura et François Ganz (service du Plan et mission SIG de la mairie d’Avignon). 2016

Source du fond de plan : les contributeurs d’Open Street Map.

Données pour 1972 : Services de l’Urbanisme, Archives municipales d’Avignon, relevé de Pia Molinard, programme du In.

Données pour 2015 : Services de l’Urbanisme, Archives municipales d’Avignon, programmes du In et du Off.

Le fondateur du Festival, Jean Vilar, avait la vision d’une ville en théâtre avant l’heure. Très tôt, Avignon a pris des airs de fête lors de cette période. Le pavoisement aux couleurs du Festival délimitait ainsi l’espace géographique qui lui était propre et qui était transformé par la manifestation : entrées du Palais des papes sur la place du Palais et du côté de la rue Peyrolerie, palais de la Foire, camping de l’île de la Barthelasse, allées de l’Oulle (à proximité du Rhône).

 

Lors des premières éditions, Vilar regrettait qu’il soit si peu évident de trouver un endroit encore ouvert pour boire un verre après le spectacle. Mais les choses vont changer. La fréquentation va augmenter et la durée rallonger. Dans la seconde partie des années 1960, Jean Vilar mène une politique de multiplication des lieux de son festival et des spectacles qui y sont désormais présentés simultanément.

(Trésor de la langue française en ligne, 2016)

OFF, adj. inv., adv. et prép.

Dans le domaine du spectacle

1. Emploi adj. Qui se produit en marge d'un programme officiel et présente un caractère généralement avant-gardiste ou marginal.

2. Emploi prép. Hors (de). 

IN

Chaque spectateur assiste en moyenne à 3 spectacles.

1947 : un peu moins de 5000 billets

1951 : plus de 11 000 entrées

1956 : 45000 billets vendus

1967 : 120000 billets vendus

1974 (année de fréquentation record) :

145 000 billets vendus

Années 2000 : La fréquentation oscille entre 100 000 (2002) et 135 000 (en 2000) entrées

2015 : 112 500 entrées

Quelques chiffres

OFF

Le nombre de spectacle vus dans le Off est en moyenne plus élevé que pour le In

1966 : 1 spectacle, 1 lieu

1972 : 136 spectacles, 26 lieux

1993 : 366 spectacles, 80 lieux, 250 000 entrées

1999 : 560 spectacles, 100 lieux, 450 000 entrées

2002 : 700 spectacles, 119 lieux, 600 000 entrées

2015 : 1336 spectacles, 127 lieux

Les bruits du festival

Les bruits du festival

Les bruits du festival emplissent l’espace.

Le festival confère à Avignon des atmosphères sonores particulières.

La finalisation urgente du montage des lieux de théâtre a toujours pu obliger les techniciens à travailler bien après la fin du jour et leurs voix retentissent alors à travers les fenêtres ouvertes de la ville, annonçant aux riverains le début proche du festival.

 

Marque de fabrique du Festival d’Avignon, l’appel des trompettes composé par Maurice Jarre résonne chaque été depuis le début des années 1950. Si aujourd’hui il est enregistré et diffusé, il faut se souvenir qu’à l’origine c’est « en direct » que les trompettistes convoquaient la ville au spectacle avant chaque représentation. La mélodie participe de l’identité sonore du Festival d’Avignon et joue le rôle d’un véritable rituel retentissant.

Un dédale pour le festival

Un dédale pour le festival

Le centre d’Avignon a conservé en grande partie son plan de ville sinueux hérité du Moyen Âge. Les recoins et rues étroites contrastent avec les quelques grands axes percés aux 19e et 20e siècles et avec les places. Cette physionomie développe des stratégies de déplacement chez le festivalier averti de ces 40 dernières années comme chez l’Avignonnais pressé, qui contournent les espaces les plus peuplés.

Ce plan urbain tortueux est particulièrement propice à la déambulation. Mais s’orienter n’est pas simple. L’espace est saturé d’informations et d’une signalétique improvisée qui se font rudement concurrence. Trouver un minuscule théâtre de poche dans le grand dédale de ce macro-évènement qu’est le festival exige d’avoir un bon fil d’Ariane.

 

C’est dans ce plan de ville plein de contrastes et de chemins de traverse que les compagnies du Off paradent depuis le début des années 1970 pour donner envie aux passants de venir voir leurs spectacles. Les déplacements massifs de festivaliers et de comédiens évoquent parfois les entrées solennelles et les nombreuses processions, propres à l’histoire d’une ville au passé religieux très marqué, et peuvent souligner le caractère rituel de ce rendez-vous annuel du spectacle vivant.

Faire le mur

Faire le mur

Le centre d’Avignon a conservé en grande partie son plan de ville sinueux hérité du Moyen Âge. Les recoins et rues étroites contrastent avec les quelques grands axes percés aux 19e et 20e siècles et avec les places. Cette physionomie développe des stratégies de déplacement chez le festivalier averti de ces 40 dernières années comme chez l’Avignonnais pressé, qui contournent les espaces les plus peuplés.

A l’instar de Gérard Philipe qui préférait résider de l’autre côté du fleuve, le festival franchit le Rhône en 1958 et investit un autre département en s’imposant à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, côté Gard. Un service de bus spécial est alors organisé pour transporter les spectateurs.

 

A la fin des années 1960, le Festival initie la multiplication des lieux de théâtre et assiste à l’émergence du Off. Les « deux » festivals vont dès lors tenter de « faire le mur », de s’étendre extra-muros. L’enjeu est symbolique : tous les quartiers d’Avignon constituent un public potentiel ou réel du festival. Mais l’idée est là d’« apporter » le festival hors les murs, de « décentraliser » l’offre théâtrale du centre vers la périphérie.

Les initiatives sont assez nombreuses et variées. Certaines d’entre elles associent les habitants à l’élaboration du spectacle, d’autres choisissent l’itinérance. Des théâtres du Off ouvrent à l’extérieur des remparts.

Dès 1969, le Théâtre du Soleil présente les Clowns, créé à Aubervilliers, mais qui promet de se renouveler dans le cadre d’un travail avec la population avignonnaise extra-muros. La troupe d’Ariane Mnouchkine fait le choix d’un théâtre itinérant avec des lieux de jeu dans les quartiers des Rotondes, de Champfleury, au stade de Malpeigné, ou encore à Sorgues.

En 1971, Philippe Avron et Claude Évrard initient une implantation festivalière en banlieue, jouant dans cinq salles différentes : Foyer des jeunes travailleurs, MJC, Club Léo Lagrange, à la Barbière, et à la Reine Jeanne.

En 1982, Armand Gatti anime les quartiers extra-muros d’Avignon avec des lectures, des discussions, et des débats. Son spectacle, Le Labyrinthe, est donné au cloître des Carmes.

Les propositions théâtrales envisagées extra-muros s’appuient parfois sur les évolutions structurelles de la ville. Ainsi, Champ d’expériences premier ouvre une expérience de spectateur très particulière en 1993, avant la démolition d’un immeuble du quartier de la Croix des Oiseaux. Après un an et demi de travail avec les anciens habitants, plus de 40 artistes de la compagnie Ilotopie, investissent des appartements de l’immeuble désaffecté pour des propositions décalées et atypiques, mémorables et sensibles.

 

Bien entendu, le festival off, qui se développe en marge du festival, s’empare lui aussi des périphéries de la ville, lors d’expériences diversifiées associant ou non la population à la construction du spectacle.

Alain Crombecque a poursuivi le projet qu’avait initié son prédécesseur Bernard Faivre d’Arcier en concrétisant les accords avec Jacques Callet, le propriétaire d’une carrière à Boulbon (Bouches-du-Rhône) qui n’était plus exploitée depuis une dizaine d’années. Dans une forme d’action de mécénat, il accepta de prendre à sa charge des travaux d’aménagement et la première représentation pu y être donnée en 1985, avec le légendaire Mahâbhârata de Peter Brook, un spectacle de 9h. Cet espace décentralisé à 15 km du cœur du festival se veut être le pendant bucolique de la cour d’honneur.

 

Le choix du terrain de la FabricA symbolise lui aussi la volonté d’implanter les infrastructures du Festival au-delà des murs. Elle a été inaugurée en 2013 à la fin de la période de direction d’Hortense Archambault et de Vincent Baudriller. La salle de répétition fait précisément la même surface que la scène de la cour d’honneur. L’objectif est de permettre aux compagnies en résidence de travailler avec les contraintes réelles des dimensions du plateau du Palais des papes et de se donner un outil pour appréhender un espace théâtral hors norme. La FabricA (architecte Maria Godlewska) est aussi un lieu qui vient en soutien d’un travail de médiation avec la population avignonnaise.

Disposer d’un lieu de plein air qui propose une tout autre atmosphère que la cour d’honneur a longtemps fait l’objet de recherches au sein des directions du In.

Espace de discussion et de rencontre

Espaces de discussion et de rencontre

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L’identité du Festival d’Avignon est marquée par une volonté de partage et d’accessibilité, mais aussi par l’héritage d’une forme de pédagogie et le rôle accentué du spectateur. C’est pourquoi, des lieux d’échange émaillent le territoire du festival.

Dès 1954, le jardin bucolique qu’était le Verger Urbain V accueillait des rencontres et débats avec le public. Ce sont les Amis du Théâtre Populaire (ATP) qui les ont coordonnés jusqu’en 1957. Puis, le Théâtre National Populaire les a gérés directement. Sans pour autant être une école du spectateur, le Verger permettait le dialogue entre les artistes et techniciens et le public. C’est un lieu idéal pour échanger sur la réception des pièces et sur ce qu’ont voulu exprimer les artistes.

 

Les Ceméa (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) ont organisé dès 1955 les premières rencontres internationales de jeunes, sous la direction de Miguel Demuynck et Chrystel Ornhjelm, responsable du Cercle d’échanges artistiques internationaux. Ils offraient à des jeunes étrangers de 18 à 25 ans la possibilité de dialoguer avec les artistes, qui se déplaçaient alors dans des écoles qui servaient aussi à leur hébergement.

 

Lieux de rencontre informelle, les cafés fréquentés par la troupe de Jean Vilar permettaient une forme de sociabilité avec les artistes et montraient leur accessibilité.

 

Aujourd’hui, le Village du Off entend offrir des possibilités de rencontres entre les artistes et les festivaliers. Le In poursuit ses rencontres et débats en les ouvrant sur des thématiques culturelles élargies. Les lieux de ces rencontres en plein air se sont déplacés vers l’hôtel de Crochans, le Cloître Saint-Louis ou encore les Jardins de l’Université de sciences.

Avignon, forum et capitale de la culture ?

Avignon, forum et capitale de la culture ?

Très tôt, Avignon, ville de taille moyenne, apparaît comme un lieu majeur du théâtre, où l’on joue, où l’on innove et où l’on apprend à être spectateur. L’ancienne capitale de la chrétienté est devenue capitale du théâtre. Mais au-delà des arts vivants, Avignon est le lieu privilégié de l’élaboration ou de la remise en cause des politiques culturelles. Quelques semaines par an, elle devient le rendez-vous incontournable des acteurs et des penseurs de la culture. Le festival donne à la ville un véritable pouvoir de rayonnement.

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La création du festival d’Avignon en 1947 et son soutien par l’État, particulièrement par l’entremise de Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et de la musique au ministère de l’Éducation nationale (le ministère des Affaires culturelles ne sera créé qu’en 1959), prend tout son rôle dans une logique de décentralisation culturelle. Il s’agissait de développer une forme de maillage du territoire par des pôles culturels forts. Les élus municipaux avignonnais, eux, ont envisagé dès 1947 de (re)faire d’Avignon un centre culturel et artistique.

 

Jean Vilar et son équipe entendaient donner au festival une résonance nationale, voire européenne. 1952 a vu ainsi se tenir les premiers « entretiens sur le théâtre populaire » qui rassemblaient les directeurs de grands théâtres européens. Trois ans plus tard, naissaient les Rencontres internationales des jeunes, toujours dans le cadre du festival, initiative importante dans les mouvements d’éducation populaire.

 

A partir de 1964, Avignon est devenu un lieu essentiel dans l’écriture des politiques culturelles. En six sessions, les Rencontres d’Avignon ont questionné et donné de l’élan à l’action culturelle publique française. Elles rassemblaient des acteurs reconnus de la culture, choisis par Jean Vilar, qui animaient personnellement les débats. Le lieu des Rencontres a été soigneusement choisi. Elles se déroulaient dans la Chambre des notaires, au cœur du Palais des papes. La symbolique semble importante à une époque où le palais et son verger sont le lieu du festival presqu’exclusif.

 

Par le rendez-vous théâtral mais aussi culturel qu’incarne le festival, Avignon est devenue le lieu de retrouvailles, circonscrites dans la période de la manifestation, d’assises et de rencontres annuelles de diverses organisations.

Représentation de la Direction des Arts et des Lettres par Jeanne Laurent. 1948

Télégramme. AMA 3W6

(Jean Vilar, extrait d’un film court produit en 1991)
En 1947, aller jouer à quelques 800 km de Paris c'était aller jouer dans le désert
Une cité devenue caisse de résonnance

Une cité devenue caisse de résonance

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Par sa dimension de capitale du théâtre et de forum annuel de la culture, la cité avignonnaise attire les journalistes et les politiques le temps de la manifestation. Son rayonnement lui « donne de la voix » et elle joue un rôle d'amplificateur de la parole qui s'y échange. D’autant plus que la programmation du festival est souvent le reflet de l’état du monde.

C'est certainement parce qu'Avignon, à travers son festival, tient lieu de potentielle caisse de résonance que les crises et les évènements viennent s'y cristalliser. Ainsi, Mai 68 retentit avec vigueur deux mois plus tard, à Avignon. La programmation est quelque peu perturbée par le désengagement de compagnies qui ne pourront être prêtes à temps. Le Living Theatre, troupe américaine libertaire conduite par Julian Beck et Judith Malina, est programmé au cloître des Carmes, quand les représentations à la Chartreuse (Villeneuve-lès-Avignon) de la Paillasse aux seins nus de l'Avignonnais Gérard Gelas sont interdites par le Préfet du Gard. Il craint les débordements. Les mouvements de protestation contre l'interdiction se mêlent aux critiques dirigées contre le Festival de Jean Vilar. Avignon est la scène d'un vif débat sur la conception même de la culture : les politiques culturelles doivent-elles s’appuyer surtout sur les multiples foyers d’expression et les pratiques amateurs ou bien s’incarner en priorité dans les institutions culturelles et leur solidarité avec les artistes ?

Le festival toute l'année

Le festival toute l'année ?

André Malraux, ministre des affaires culturelles à partir de 1958, affirme sa volonté d’implanter dans chaque département une maison de la culture. Pour autant à ses yeux, Avignon n’est pas concernée, car le festival incarnerait cette fonction de « cathédrale du 20e siècle ». Mais est-ce bien le cas alors toute l’année ? Et aujourd’hui ?

Faire d’Avignon une capitale du théâtre à l’année est un projet soutenu à différentes occasions. Lorsque Bernard Faivre d’Arcier assurait sa seconde direction du Festival, à partir de 1993, il portait l’ambition de donner à la ville une envergure de capitale européenne du théâtre. Le projet de création d’un centre national du théâtre (CNT) s’inscrivait dans cet objectif. Mais la Mairie se désengagera financièrement de ce projet ambitieux et jugé trop coûteux. Ce CNT ambitionnait de rassembler à Avignon, l’année entière, toutes les étapes de la création, de l’écriture à la représentation, en passant par la production, la formation des techniciens mais aussi des cadres administratifs.

La ville garde la trace, tangible ou « en creux », du festival une fois que l’évènement s’achève. Les lieux de spectacle vidés sont souvent

« neutralisés » et « mis en attente » pour l’édition suivante, qu’il s’agisse du In ou du Off. La proposition artistique de Marion Pochy et Dominique Durand des « Fenêtres Festivals » inscrit d’une autre façon l’évènement dans la ville et questionne sa permanence.

À l’occasion de la 40e édition du Festival d’Avignon, en 1986, deux artistes ont fait une proposition originale à la Ville : peindre dans le centre-ville 40 fenêtres d’anniversaire en trompe-l’œil, une par édition de festival. Marion Pochy et Dominique Durand ont repéré des immeubles qui disposaient de fenêtres aveugles. Les services de l’Urbanisme se sont chargés d’obtenir les accords de propriétaires. C’est l’afficheur Decaux qui a finalement financé l’impression sur des supports en toile de polyester, spécifiquement conçue pour résister aux variations climatiques et à l’exposition à la lumière.

La ville prise par le festival

La ville prise par le festival

Métonymie : n. f. Figure de style consistant à remplacer un mot par un autre qui lui est lié par un rapport logique, par exemple, le contenant pour le contenu (« boire un verre »), le symbole pour la chose (« les lauriers » pour « la gloire »), l’écrivain pour son œuvre (« lire un Zola »).

Cette figure de style évoque le phénomène qui saisit la ville. Très tôt, on ne dit plus « le festival d’Avignon de 1971 », mais « Avignon 71 ». Le festival est cannibale et tentaculaire.

Alors que le « hors festival » est né l’année précédente seulement, 1967 compte déjà une petite quinzaine de lieux investis. Mais il n’a pas seulement conquis des lieux de spectacles. La foule est dense et nombreuse. C’est l’effervescence, mais aussi une forme de logique de consommation culturelle qui ne se l’avoue pas. L’affichage n’est pas vraiment dans la culture du In. Mais les initiatives du Off, ne bénéficiant alors pas de programme et de coordination, appellent, elles, des logiques plus communicantes et une forme de surenchère concurrentielle.

Mon plus merveilleux souvenir, c’est le buffet de la gare. Là, les gens se moquaient de la danse, se contrefichaient du festival et de ses ambitions culturelles. Ils avaient des trains à prendre, c’est tout.

(Maurice Béjart, chorégraphe, Mémoires, 1979)
(Jean Lacouture, « Avignon ou la ville prise par le Festival » in Le Monde, 18 août 1967)

Avignon (…) n’a pas seulement grandi, il s’est diversifié. Il a proliféré en tous sens. Il a pris la ville. (…) Désormais, le théâtre est sorti du théâtre et campe dans la rue. Le théâtre est lâché dans la ville. Avignon n’est plus une ville qui a un festival, c’est un festival qui a une ville. 

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Une histoire 

municipale ?

Sommaire du chapitre

II. Une histoire municipale ?

Organiser et préparer

Organiser et préparer

La Mairie n'est pas cantonnée à un rôle de spectatrice du phénomène festivalier. L'histoire montre qu'elle a, au contraire, assumé une fonction clef dans l'organisation et la logistique de l'évènement.

Les premières années, la Ville s'est appuyée sur le Comité de la Semaine d'Avignon, association loi 1901 présidée par le docteur Bec. Ce comité était initialement chargé d'organiser le concours de la Ville et des habitants dans un évènement qui est encore très artisanal. Il s'occupait notamment de gérer les questions d'hébergement des troupes. Il apportait aussi un soutien et une coordination à la mise en œuvre technique du Festival : intervention de l'architecte Amoyel ou des troupes et matériaux du régiment du 7e Génie pour la construction de la scène dans la cour d'honneur, impression des programmes, etc.

 

La Ville s'est également souciée à plusieurs reprises de la coordination du Off. Si le nombre d'interlocuteurs potentiels peut apparaître comme un frein (100 lieux de spectacles en 1998), elle a salué la création de la première association structurante (1982), Avignon Public Off, et a eu la volonté d'accompagner les initiatives destinées particulièrement à l'information du public. Ainsi, le soutien matériel des premiers temps et l'hébergement du point du Off dans le péristyle de l'hôtel de Ville après 2002 symbolise bien la reconnaissance de l'existence du festival Off. L'entrée très récente du Maire d'Avignon au conseil d'administration d'Avignon Festival et Compagnies semble dénoter une volonté d'accompagner l'organisation et le déroulement de l'évènement.

 

Le rôle d'organisation de la Mairie consiste aussi, au cours du temps, à prendre en compte l'évènement dans le rythme de vie de la ville à l'année. Ainsi, les travaux de voirie sont planifiés pour être achevés avant le début de la manifestation et les travaux de restauration dans les lieux de spectacle s'adaptent à la temporalité du festival. Il faut aussi anticiper le phénomène de « surpopulation », tout particulièrement intra-muros, avec ce que cela implique par exemple sur la consommation d'eau et d'électricité, mais aussi pour les réseaux d’égouts.

Moi, je me suis souvent demandé comment ça tenait avec tout ce voltage ! Un ami m’avait fait remarquer ce que chaque petit théâtre consommait en électricité. À mon avis, c’est une chance que ça n’ait jamais lâché.

(Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire du CCAS, mai 2016)

L’implication matérielle et logistique de la Ville dans l’histoire de l’organisation du festival est souvent méconnue. Pourtant, ses interventions apparaissent décisives, même depuis que le Festival in a pris une plus grande autonomie en adoptant le statut d’association.

Tant que le Festival était en régime de concession municipale, puis en régie municipale directe, la Ville prenait directement en charge les travaux d'aménagement des différents nouveaux lieux impliqués dans la programmation.

 

Les personnels techniques municipaux ont longtemps porté le travail colossal de montage et de démontage des dispositifs scéniques. On disait alors qu'ils y travaillaient à « heures perdues », c'est-à-dire sans heures supplémentaires, sur les plages horaires durant lesquelles ils n'étaient pas mobilisés par les opérations courantes. Ils se sont ainsi formés au fil des ans à des méthodes bien spécifiques. Les années 1950, période où le Festival s'identifie au TNP, ont fait intervenir les techniciens de Chaillot, qui encadraient les opérations de montage. Les décennies 1980 et 1990 ont vu le Festival In, érigé au statut d'association, prendre en main progressivement ces opérations avec son propre personnel, probablement dans un souci de maîtrise plus complète des travaux.

 

Les ateliers municipaux des fêtes ont une histoire intimement liée au Festival et à l'implication technique de la Ville. Et celle-ci a pris initialement à sa charge le stockage et le gardiennage de tout le matériel scénique du In. La mise à disposition de lieux de stockage par la Ville est toujours d’actualité, à proximité immédiate des locaux des services de la Ville, boulevard Eisenhower.

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"le montage des différents lieux a été réalisé avec un horaire contracté (6h-13h) et pratiquement sans heure supplémentaire"

Encadrer

Encadrer

La Ville a pour mission d'imposer une régulation des excès qui peuvent accompagner un moment festif de rencontre et de loisir cristallisant aussi des enjeux commerciaux et compétitifs forts.

La Mairie intervient dans la sécurité publique. Les nombreux lieux du Off comme du In relèvent des commissions communales de sécurité qui assurent un rôle de contrôle et de conseil auprès des entrepreneurs du spectacle. La Police municipale est, depuis la fin des années 1960, fortement mobilisée durant cette période de grande affluence.

Le Festival in, par sa forme institutionnelle structurée et en raison de sa grande notoriété, a assez peu d'impact sur l'espace public en dehors des foules qu'il déplace et des lieux qu'il investit. Le Off, lui, a une nature composite et résulte de l'addition de volontés individuelles de proposer un spectacle à Avignon. Il génère une véritable guerre de la communication, qui se traduit par l'impression de très nombreux tracts – en moyenne 15 000 par compagnie au milieu de la décennie 2000 – et affiches, dont la ville se pare. L’affichage, plus présent chaque année, a fait l'objet d'un encadrement progressif par l'autorité municipale. Le jour et l'heure à partir desquels il est autorisé sont aujourd’hui fixés de manière officielle par arrêté du maire. Les systèmes d’accrochage au moyen de fils de fer ou de clous ont été strictement proscrits en 2009. En 2016, la municipalité a annoncé vouloir faire du festival une éco-manifestation et réglemente le format des affiches. L'idée est ici de réduire l'impact environnemental du festival, mais aussi de réguler quelque peu les inégalités de moyens qui existent entre les compagnies pour l'impression de supports de communication, volonté soutenue par Avignon Festival et Compagnies.

Festival et politiques culturelles avignonnaises

Festival et politiques

En septembre 1947, la première Semaine d’art est née d’une initiative privée. Quand ils ont été sollicités, les élus au conseil municipal ont su saisir l’opportunité et percevoir l’enjeu que pourrait représenter le projet pour l’avenir de la cité. Pour autant, le festival n’émane pas, à l’origine, d’une volonté politique municipale, mais bien d’une initiative particulière, privée.

Le docteur Pons, soucieux de la reconstruction de la ville dont il était maire, a pressenti que la Semaine d’art, même à l’état de prototype, pouvait constituer une occasion de renouer des liens entre les habitants et de retrouver le plaisir du loisir qui « élève l’esprit ». Les municipalités suivantes ont souvent souligné la réussite de l’évènement auprès des Avignonnais, mais aussi (et parfois surtout), le levier touristique et économique que le festival incarnait. Dans les paroles de certains élus des majorités ou des oppositions successives, l’attachement à cette manifestation venue de l’extérieur s’est parfois résumé à leur intérêt pour le rayonnement que le festival offrait à la cité, grâce à une nouvelle identité marquée. Le festival a ainsi souvent paru être un évènement pérenne, incontournable, indispensable, mais un peu extérieur et « apporté ».

Je pense que la vie culturelle de notre cité ne doit pas se résumer uniquement au théâtre et au festival, mais qu’il y a bien d’autres besoins qu’il serait urgent de prendre en compte. Dans le domaine des équipements culturels en particulier, il y a une très forte demande au plan musical. À quand un complexe qui pourrait accueillir en répétition les groupes amateurs et qui serait doté d’une salle de spectacle ?

(Roland Anderson, conseiller municipal, extrait des débats du conseil municipal précédant le vote d'une délibération relative au programme d'investissement pour le Festival, 29 mars 1984)
Payer

La Mairie, depuis la fondation du rendez-vous annuel festivalier, assure une part non négligeable de son financement. Selon la forme juridique prise par les entités organisatrices du festival, ce financement s’est traduit par des subventions ou par une intégration directe au budget municipal.

Le budget global du Festival a augmenté au cours du temps, parallèlement à la multiplication des lieux et des spectacles. Les décors radicalement épurés des mises en scènes de Jean Vilar ont laissé place à des installations spectaculaires et coûteuses. La Ville a longtemps assumé près de la moitié du budget du Festival d’Avignon, puis sa part a diminué quand les subventions de l’État se sont fortement accrues et sont venues soudainement doper les capacités financières du Festival.

Répartition des financements publics du Festival d'Avignon. Projection graphique de statistiques - Yves Schleiss

En 1947, la subvention de la Ville est de 300 000 francs, celle de l’État s’élève à 500 000 francs et Jean Vilar y ajoute 300  000  francs,  sans  compter  que  le conseil municipal vote, après la Semaine d’art, une subvention complémentaire de 700 000 francs, soulignant le soutien du secteur public local à l’opération déficitaire et portant la part de la Ville à 55 %.

Quand Jean Vilar prend la direction du TNP, la Ville finance la manifestation à hauteur de 2 millions de francs (50 %), le Département pour 500 000 francs et l’État 1,5 million de francs.

 

En 1980, sur un budget total de 7,6 millions de francs, la Ville finance 3,5 millions

(46 %), le Conseil général de Vaucluse 1,7 et l’État seulement 300 000 francs (moins de 4 %). Mais avec l’arrivée de François Mitterrand (PS) à la présidence de la République et de Jack Lang au ministère de la Culture, la participation de l’État dans le budget du Festival a bondi.

 

En 1987, l’État assume 30 % du budget, pour passer à 45 % à la fin de la décennie 1990 avec 20 millions de francs.

Ces dernières années, la Ville et le Grand Avignon se partagent 25 % des subventions annuelles de fonctionnement du Festival. L’État, la Région et le Département en assument en moyenne 25 % chacun.

Répartition des financements publics du Festival d'Avignon. Projection graphique de statistiques - Yves Schleiss
Répartition des financements publics du Festival d'Avignon. Projection graphique de statistiques - Yves Schleiss
Répartition des financements publics du Festival d'Avignon. Projection graphique de statistiques - Yves Schleiss

J’ai le devoir de défendre une chose qui est un peu notre enfant. Avignon n’a pas à copier Orange, n’a pas à copier Arles ni aucune autre ville. Avignon est une des rares villes-phares de l’Univers, les gens y viennent de très loin. Notre Semaine d’art n’a pas pour but de réaliser des bénéfices.

Le Docteur Pons, ancien maire lors d'un débat du conseil municipal relatif au budget du festival, 30 juin 1948)

Les participations indirectes à l’évènement sont toujours venues s’ajouter à ce que paie la Ville pour soutenir le festival : restauration et aménagement des édifices anciens prêtés et des lieux scéniques, mise à disposition de personnels et rémunérations directes, achat de matériel technique, réparations, assurances, installations de bureaux et paiement de dépenses utiles à l’organisation, telles que l’achat d’un véhicule en 1970 (la délibération précise qu’il s’agit d’ « une 404 Peugeot essence 8 CV bâchée » !) ou l’installation de lignes télé- phoniques entre les lieux du In en 1973.

 

Les débats au sein du conseil municipal posent régulièrement le festival comme un poids financier ou comme un évènement non rentable. Ses déficits sont souvent montrés du doigt par les élus d’opposition. Mais les maires successifs, quand ce ne sont pas leurs adjoints, réaffirment systématiquement l’idée que le festival n’a pas pour dessein de dégager des bénéfices (il y est parvenu cependant parfois).

Les retombées économiques et touristiques sont indéniables pour la cité. Une étude de 1995 les estimait déjà à 90 millions de francs, soit 10 fois l’investissement municipal. Soutenir financièrement le Festival, et par ce biais l’avant-garde de la création, a toujours contribué à soutenir l’image, le rayonnement et l’attractivité d’Avignon.

On ne peut comparer les subventions allouées à l’association Festival d’Avignon à celles, bien moindres, que la Ville offre à l’association Avignon Festival et Compagnies, qui assure une coordination du festival Off et emploie trois à quatre permanents depuis 2012.

Avoir son mot à dire ?

Avoir son mot à dire ?

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En 1984, faute d’une inscription dans le programme, et en dépit de l’opposition de Bernard Faivre d’Arcier, successeur de Paul Puaux, Jean-Pierre Roux, organisa un concert de Mireille Mathieu sur la place du Palais peu avant l’ouverture du festival, retardant le montage de la cour d’honneur par la mobilisation des équipes techniques municipales.

Cet évènement n’est pas étranger à la démission de Bernard Faivre d’Arcier de son premier mandat de directeur du Festival d’Avignon. Guy Ravier, maire de 1989 à 1995, orienta la programmation de l’édition 1990 en plaidant auprès d’Alain Crombecque des symboles forts en direction des Avignonnais. Daniel Auteuil, ancien écolier de la rue Thiers, a ainsi joué Scapin dans la cour d’honneur.

 

L’affirmation de l’indépendance du Festival a abouti, en 1980, à l’adoption du statut associatif. Pour autant, le lien avec le territoire, avec la Mairie et avec les habitants reste étroit. On le perçoit notamment à travers les lettres de missions aux nouveaux directeurs ou les conventions qui fixent les grands engagements de l’association de gestion du Festival. Celle de 2012 l’enjoint ainsi à réserver au moins la moitié de son programme à la création, à « poursuivre les actions de développe- ment et de rajeunissement des publics » ou encore à « renforcer l’ancrage du festival dans la ville ».

Si la Mairie s’est amplement investie dans l’organisation et le financement du festival et qu’elle a toujours pesé dans le choix des « successeurs » de Jean Vilar, cela n’a cependant pas occasionné de véritable ingérence de sa part dans la programmation et la ligne politique du Festival. Mais la question s’est posée à différentes époques et les tentatives de s’immiscer ont été bien réelles.

Le comité de la Semaine d’art s’est très vite vu investi d’un rôle de tutelle sur les choix artistiques et budgétaires de la direction du Festival. Il en est ainsi venu à discuter le choix de certaines pièces contemporaines, la création de nouveaux costumes et à influer sur le prix des places. Jean Vilar, lassé des tensions et de la nécessité de toujours se justifier, adressa sa démission au docteur Bec en 1953. Son « retour », souhaité par Édouard Daladier, a été conditionné par le traitement des affaires en direct avec le maire.

Cette menace de démission a eu un effet à long terme. Les maires, Édouard Daladier comme Henri Duffaut, se sont positionnés en garants de la liberté artistique du Festival face aux élus qui estimaient régulièrement que le conseil municipal avait un droit de regard sur la programmation. Mais cela n’a pas empêché l’adjoint délégué à la culture de la fin des années 1970, Dominique Taddei, de critiquer les orientations du festival et de s’opposer vivement à Paul Puaux qui assurait alors la direction du In. Ces critiques sont à replacer dans le contexte politique et les rapports de forces nationaux de l’époque. Dominique Taddei était socialiste, et plus particulièrement rocardien, alors que Paul Puaux, le directeur du Festival d’Avignon, était communiste. Les tensions entre les deux hommes ne sont probablement pas sans lien avec le contexte de construction d’un programme commun de la gauche en vue des élections présidentielles de 1981.

« Vous savez que si on lui obéissait [au public], notre répertoire dramatique en serait resté aux premiers vagissements de la tragédie. Par conséquent, un de nos devoirs est de servir, et donc de jouer les auteurs de notre temps. »

(Jean Vilar justifiant le choix de Maurice Clavel dans la programmation auprès d’Étienne Charpier, adjoint à la Culture du docteur Pons, 1947)

« Jean Vilar a dit : ou le choix des pièces m’incombera et j’en prendrai la responsabilité ou ce sera d’autres personnes qui le feront et qui en prendront alors la responsabilité ; moi alors je m’en déchargerai. »

(Henri Duffaut, maire, extrait des débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 26 février 1968)

« Dans quelle limite les élus qui ont la responsabilité du budget de la Ville peuvent-ils donner un blanc seing sans savoir exactement ce qu’on leur propose ? (…) Nous avons été frappés l’an dernier par le côté excessif, à mon goût personnel, de l’aspect théâtre de recherche, avec ce que cela pouvait avoir d’informel et finalement de critiquable. »

(Emmanuel Lescot, conseiller municipal, extrait des débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 11 mai 1970)

- Henri Duffaut, maire : « M. Vilar estime que ce serait nuire à la réputation du festival. »

- M. Colombe, conseiller municipal : « Il serait regrettable de créer un incident avec M. Jean Vilar du TNP car le festival (…) est une manifestation extraordinaire qui attire non seulement beaucoup d’étrangers mais aussi les jeunes des rencontres internationales. (…) Nous jouons la carte Vilar, qui n’est pas près d’être épuisée (…). Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que M. Jean Vilar essaie de prendre de l’extension et par là, d’annexer les autres cours que celle du Palais des papes. »

- Monsieur le maire : « Nous avons été à la limite de la rupture avec le TNP. J’ai dû poursuivre des négociations extrêmement difficiles, les prétentions de Jean Vilar étant de rompre avec la Ville, si du Palais des papes tout entier, il n’était pas exclu toute représentation théâtrale [autre que celle qu’il programme]. »

(Extraits des débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 19 février 1963)

« Sachez bien que Jean Vilar ne se soumettra pas à un comité de lecture, ni à une tutelle. Il viendra parce qu’on lui aura fait confiance. (…) Il viendra ou ne viendra pas et vous le prendrez ou vous ne le prendrez pas et le festival sera ce qu’il sera ou ne sera rien du tout. »

(Henri Duffaut, maire, répondant à Me Bout, conseiller municipal, extrait des débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 30 avril 1971)

 « N’étant pas homme de théâtre, j’ai pu avoir quelques fois des réactions de "fossile". »

(Henri Duffaut, maire, à propos de ses propres réserves quant à la programmation, extrait des débats du conseil municipal précédant le vote d’une délibération, 26 juillet 1973)

« À l’heure du bilan, il faudra que la municipalité choisisse : faire d’Avignon un festival familial, de divertissement, avec les grands succès de Paris, ou lui conserver sa ligne d’ouverture à la création contemporaine et au renouvellement. »

(Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Festival, 1983)

Réutiliser les installations

Réutiliser les installations

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L’achat par la Ville d’installations scéniques pour la cour d’honneur puis pour d’autres lieux, et même leur simple existence, peut soutenir la logique du réemploi des infrastructures, hors temps du festival. Ceux-ci ont pourtant été peu nombreux .

La question de l’utilisation de la cour d’honneur comme lieu de spectacle en dehors de la programmation du Festival s’est posée très tôt.

À plusieurs reprises, les édiles ont voulu programmer une célébrité locale dans le cadre du festival. La direction du Festival a systématiquement refusé et Vilar a même obtenu l’exclusivité de l’usage de la cour d’honneur pour des spectacles, y compris en dehors de la période de la manifestation.

Aucune autre manifestation théâtrale ou musicale organisée en accord avec la Municipalité ne pourra avoir lieu à Avignon pendant la durée du festival, sans l’assentiment formel et écrit du TNP. 

(Article 4 du contrat de représentation conclu entre Jean Vilar, directeur du TNP, et M. Le Maire, 1957)

Il est bien convenu qu’à n’importe quelle autre époque de l’année, aucun autre spectacle que ceux du TNP dans le cadre du festival ne pourra être produit dans la cour d’honneur du Palais des papes. 

(Avenant au contrat de représentation, 1963)

Les réutilisations ont en fait été rares et assez récentes. En 2000, dans le cadre des festivités d’« Avignon ville européenne de la culture », la cour d’honneur du Palais des papes a accueilli trois spectacles (un concert de l’Orchestre régional Avignon- Provence, DeeDee Bridgewater en coproduction avec Tremplin Jazz, et le Ballet Golovine avec la création À l’aube des dieux), du 30 juillet au 9 août. La Ville a voté une subvention supplémentaire au Festival afin de bénéficier de  l’installation et qu’une équipe technique et de billetterie puissent collaborer à l’évènement. Par la suite, les installations du Festival ont pu servir pour Tremplin Jazz, et la plateforme montée par les techniciens du Festival pour les Luminessences, spectacle de projection monumentale dans la cour d’honneur.

Gérer les crises

Gérer les crises

À différents moments de crispation, la Mairie s’est impliquée dans des tentatives d’apaisement ou de gestion des crises qui ont touché le festival. Et elle a tenté d’éviter toute annulation.

Des tentatives d’apaisement se font jour dès l’annonce d’une démission de Jean Vilar en 1953, alors qu’il souhaitait se défaire de la tutelle du comité d’organisation de la Semaine d’art et obtenir plus de moyens pour le Festival. Le maire, Édouard Daladier, négocia avec Jean Vilar les conditions pour qu’il ne concrétise pas son départ. Gérer la crise en 1953-1954 a donc consisté à faire des compromis et à donner des garanties à l’homme qui tenait entre ses mains l’avenir d’une manifestation chère à la cité.

 

En 1968, alors que le festival attirait les revendications et la poursuite du mouvement de mai, le maire, Henri Duffaut, travailla avec le préfet et la direction du Festival pour éviter tout débordement. Les rôles ont été répartis entre les différentes polices et un service d’ordre interne au Festival, avec l’intention que l’évènement ne se transforme pas en « festival de CRS ». Alors que Jean Vilar était critiqué et que la revendication de gratuité des arts et de la culture était forte, la Mairie organisa pour la « nuit » du 4 août une représentation gratuite du ballet de Maurice Béjart sur les bords du Rhône, ainsi qu’un aïoli géant !

Entre organisation des forces de l’ordre et manifestation populaire (certains diront populiste), la Ville a soutenu le maintien du festival jusqu’au dernier jour.

Ramasser, balayer

Ramasser, balayer

Les critiques récurrentes contre l’état de propreté de la cité l’ont démontré, si les ordures ne sont pas ramassées et les rues ne sont pas nettoyées, la « surpopulation » du rendez-vous festivalier fait peser sur la ville un poids pénible.

Quotidiennement, il me faut nettoyer le trottoir et le devant de la porte de l’immeuble où j’habite. 

(Annie L. courrier au maire, 24 juillet 1981)

Pendant le Festival, les services de ramassage des ordures et de nettoyage sont sur le pied de guerre et leur personnel est renforcé. L’activité est en effet fortement augmentée par la présence d’une population multipliée environ par plus de deux pour le centre-ville. D’éventuels orages d’été provoquent de tristes naufrages d’affiches et supports cartonnés dans les caniveaux, métamorphosant la ville en fête en ville gluante de papier mouillé. Les poubelles se remplissent très rapidement. Des passants peu scrupuleux se débarrassent de leur surplus de tracts directement par terre. Depuis 2004, c’est l’Agglomération du Grand Avignon qui porte la responsabilité du ramassage des ordures. Le nettoyage des rues relève, lui, toujours de la Mairie.

Sans doute des papiers jonchent la place de l’horloge. (…) Préfère-t-on les villes mortes dont l’entretien exige moins d’effort ? 

(M. Bout, adjoint à la culture, extrait des débats du conseil municipal du 26 juillet 1973)
Circulez

Circulez...

La problématique de la circulation et du stationnement dans le centre-ville en période de festival a mobilisé les esprits des organisateurs de longue date. D’autant que la sinuosité des rues de l’intra-muros avignonnais rend ces questions prégnantes toute l’année.

À Avignon, le festival peut apparaître comme un déclencheur et comme l’occasion d’une expérimentation sur la question des véhicules automobiles en ville. Le festival est aussi le moteur d’une réflexion sur un sujet localement sensible. Avec plus de 2 000 places de stationnement « en surface » pour son centre historique, Avignon est aujourd’hui, parmi les villes françaises de taille comparable, celle qui y accorde le plus d’espace aux voitures.

À la fin des années 1970, Paul Puaux alertait la Ville sur les problèmes que la voiture causait au festival. Il proposait une sorte de plan d’aménagement urbain pour le festival. Une attention particulière y était portée à la place de l’Horloge, déterminant des zones pour les différentes activités qu’elle accueillait.

Pour accroître la sécurité, laisser plus de place aux passants et aux parades, rendre plus agréable la déambulation ou la fréquentation des terrasses, Paul Puaux identifiait la nécessité d’éviter les déplacements automobiles à l’intérieur des remparts.

 

Les plans de circulation ont d’abord été modifiés dans les années 1970 afin de dissuader la traversée motorisée de l’intra-muros. Sous la municipalité de Marie-Josée Roig, une partie du centre a été fermée à la circulation pendant le festival. Et depuis le festival de 2015, le maire, Cécile Helle, a étendu la zone à tout l’intra-muros, conservant un droit de passage pour les riverains et des horaires de livraison. Le retour des voitures simultané au départ des troupes a fait quelques déçus de ce temps d’expérimentation globalement bien vécu.

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Je t'aime, moi non plus :

les Avignonnais et leur festival

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III. Les Avignonnais et leur festival
Accueillir le festival

Accueillir le festival

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Le Festival, je l’ai vécu comme un cadeau fait à la ville. (...) Avignon a toujours attiré des touristes, mais avec le festival une culture s’est ajoutée

Interroger les liens entre le festival et « sa ville » implique un questionnement sur la relation qu’ont les habitants à l’évènement. Les premières années semblent avoir été marquées par un accueil favorable, mêlé de curiosité, d’enthousiasme et d’élan commun.

(Ginette, vers 1995, dans Bernard Weisz, Avignon Festival de la mémoire, Association Jean Vilar, 1996)

Pour que Jean Vilar et sa troupe puissent jouer lors de la Semaine d’art de septembre 1947, toutes les bonnes volontés furent les bienvenues. On a fait appel à la débrouille, au bon sens, et aux forces locales. Tout mettre en place à temps pour la première fois était un pari, un défi. Le comité d’organisation de la Semaine d’art, composé d’Avignonnais qui savaient quels réseaux pouvaient être sollicités, était chargé d’organiser le concours de la ville et de ses habitants.

 

L’architecte avignonnais Georges Amoyel dressa bénévolement les plans d’aménagement de la cour d’honneur. Le régiment du 7e Génie, établi caserne Hautpoul (cours Jean Jaurès), installa la scène. Clin d’œil ou inspiration de l’histoire, en 1982, Bernard Faivre d’Arcier fera d’ailleurs de nouveau appel au régiment pour finaliser le montage de la nouvelle cour d’honneur. Saquet, électricien d’Avignon, fut lui aussi embarqué dans l’aventure pour une longue période.

Travailler pour l'évènement

Travailler pour l'évènement

Tous au festival

Le festival mobilise professionnellement des Avignonnais depuis 1947. Pour certains habitants, festival rime avec travail. Emploi direct ou source indirecte d’activité, la prise d’ampleur de l’évènement a nécessairement développé des secteurs économiques de la cité.

Les artistes avignonnais n’ont pas tout de suite été impliqués dans la manifestation. La troupe de Jean Vilar était recrutée à Paris, même si les comédiens n’étaient pour autant pas tous parisiens de naissance. Aujourd’hui, les compagnies du Off originaires de la région sont environ 2001.

Constituant des opportunités de commandes innovantes, ce sont d’abord les fonctions techniques et l’artisanat qui ont été sollicités. De nombreux employés municipaux ont travaillé pour le Festival.

Le montage et le démontage de l’infrastructure de la cour d’honneur ont longtemps fait intervenir les équipes techniques de la Ville sur leurs heures de travail. Jean Vilar avait aussi recruté trois trompettistes de l’orchestre municipal. Par ailleurs, les jeunes ouvreuses des premières éditions du festival, coopérantes précieuses du Festival, étaient issues du groupe folklorique de l’Académie provençale gérée par M. Clamon. En costume traditionnel, celles qu’on appelait « les comtadines » plaçaient les spectateurs et distribuaient les programmes.

Tous au festival ?

Il est a priori plus facile d’aller voir un spectacle du festival lorsqu’on vit dans la ville où il se déroule . Pour autant, ce n’est pas parce qu’une chose est possible qu’elle devient réalité.

On entend souvent que les Avignonnais ne vont pas au Festival. Pourtant, il n’y a pas qu’en 1947 qu’ils ont occupé une proportion importante des 2000 chaises de jardin alors disponibles. En 1967, l’enquête sociologique de Janine Larue soulignait d’ailleurs que 60 % des Avignonnais étaient allés au moins une fois au Festival.

 

Jean Vilar souhaitait transmettre l’idée qu’être spectateur n’est pas un privilège réservé et que les portes de la cour d’honneur étaient ouvertes à tous. Pour que le TNP parvienne à toucher un public qui n’irait pas au théâtre par convention, Vilar confia à Sonia Debauvais la mission de dénicher de nouveaux spectateurs. En juin 1959, elle prospecta pour la première fois auprès des comités d’entreprise, des syndicats, des associations culturelles, des commerçants, des administrations, d’Avignon et des alentours, pour recruter le public d’une avant-première à petit prix. Dans cette recherche d’ouverture marquée, le Festival n’a jamais fait le choix de proposer un théâtre délibérément facile d’accès, simplifié ou sur-mesure pour des gens qui n’avaient pas d’habitude de spectateur. La démarche consistait plutôt à accompagner le public dans la compréhension de ce qu’il voyait par des rencontres avec les artistes, techniciens ou metteurs en scène. Nombreux sont les habitants qui ont ainsi fréquenté les conférences et débats de 17h au Verger Urbain V, avant d’aller à la nuit tombée voir le spectacle. On constate que les rencontres plus contemporaines touchent un public déjà acquis et sensibilisé, moins divers. Le défi de « former » de nouveaux spectateurs motive un travail avec les établissements scolaires du territoire.

Billet d’entrée pour Richard II. 1949. PDR

Le prix des billets des années où Vilar dirigeait le TNP se voulait très accessible et on a même étudié sérieusement la possibilité d’une gratuité totale des spectacles. Comme Hortense Archambault dans les années 2000, Jean Vilar regrettait de voir peser autant le système des invitations, qui privilégie souvent ceux qui pourraient payer leur place. Aujourd’hui comme hier, des Avignonnais questionnent le coût des billets du Festival In, à leurs yeux dissuasif, et estiment qu’il serait juste qu’un tarif spécial leur soit offert. Le Off propose aux habitants un prix réduit pour la carte d’adhérent depuis de nombreuses années. Le In est tenu par l’obligation de non discrimination des prix mais ouvre sa billetterie un jour plus tôt à Avignon pour donner aux habitants la possibilité d’acheter les

« meilleures » places.

L’éternel défi du festival aura été de toucher un public local plus diversifié. Mais les directions du In comme les compagnies du Off ont toujours constaté l’écart entre l’intention et la réalité.

Les Avignonnais présents pendant la manifestation ne sont pas toujours en vacances. Les horaires de spectacles en soirée et les formats longs de certaines performances théâtrales ne séduisent pas aisément ceux qui sont dans un rythme de travail. Les a priori vis-à-vis du festival sont tenaces et parfois éloignés de la réalité. Ainsi, l’édition controversée et sulfureuse du In en 2005, pour laquelle Jan Fabre était artiste associé, a laissé des traces dans un imaginaire collectif local. D’anciens habitués du festival ont alors vu leurs repères bouleversés par une expérience à contresens des habitudes esthétiques connues et réconfortantes qu’ils pouvaient avoir. Et ils en ont conclu que le In n’était plus pour eux, à jamais.

 

Le « hors-festival », le Off, est devenu un véritable aperçu de tout le panel des formes d’esthétiques qu’offre le spectacle vivant. Le In, lui, propose une programmation cohérente, soucieuse d’avoir toujours un temps d’avance sur la scène contemporaine. Cette empreinte du théâtre de création et de l’avant-garde dans le In donne à certains spectateurs une impression d’élitisme. Ils se retrouvent alors mieux dans les choix nombreux et parfois plus rassurants, que leur propose le Off. Pour autant, il n’est pas pertinent d’opposer spectateurs du In et spectateurs du Off, le passage « d’un festival à l’autre » étant en effet fréquent. Les inconditionnels exclusifs de l’un ou de l’autre sont peu nombreux.

« Nous devons considérer que ce ne sont pas les quartiers qui ont besoin de nous, mais nous qui avons besoin des quartiers, ce n'est pas le réel qui a besoin de la poésie, c'est la poésie qui a besoin du réel.  »

(Olivier Py, édito du programme du Festival, 2014)

« Certaines pièces du In sont très choquantes ou trop longues et les gens s’en vont à l’entracte, très déçus. »

(Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire du CCAS, avril 2016)

« Le Off donne une chance à tout le monde, à égalité. J’ai eu la fierté de voir ma fille danser au festival. »

(Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire du CCAS, mai 2016)

« Que les riches s’y rendent en sleeping ou dans leurs voitures au long nez et louent les places les plus chères. C’est leur devoir. Que les économiquement moyens renoncent à leurs vacances en Bretagne ou en Normandie et fassent coïncider le lieu et le temps de leur départ avec une des dates d’Avignon. C’est leur avantage. Que les pauvres s’y rendent à pied, en auto-stop, en brûlant le dur, en mendiant leur pain ou en volant des poulets le long de leur route. Leurs fatigues, leurs faims, leurs angoisses, toute leur misère, un soir d’Avignon les effacera. »

(Extrait d’une longue citation des propos de René Barjavel dans Carrefour, programme du Festival, 1949)

Partager le festival

Partager le festival

Dans le Off, on n’est pas certain de tomber sur des choses intéressantes. C’est le bouche à oreille qui joue.

Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire au CCAS, avril 2016.

Le festival d’Avignon s’appuie depuis toujours sur le « bouche à oreille ». Il a d’abord fonctionné d’une année sur l’autre, pour les spectacles repris, puis comme aide au choix parmi la multitude de propositions artistiques.

Lorsque le Festival programmait des reprises, les Avignonnais avaient pour habitude de les conseiller à ceux qui avaient manqué la pièce la première année. Au-delà d’une dynamique de fidélisation, cela permettait de diffuser l’envie par le conseil. La mise en œuvre de la simultanéité des représentations en 1967 a permis de partager autour d’un verre des impressions sur trois spectacles différents vus le même soir. Ce phénomène s’est transposé sur le Off, d’une année sur l’autre ou lors d’une même édition.

 

Les spectateurs avignonnais du festival partagent leur plaisir, leur déception et leur passion avec des amis, mais aussi en famille. Les statistiques des publics montrent que le festival ne se distingue pas des mécanismes sociologiques observés pour les autres pratiques culturelles : il se transmet de génération en génération !

Partager le festival est un des rôles que s’est  donnée l’association Cultures  du cœur 84, constatant que les publics précaires y étaient peu représentés. Conventionnée avec le Festival d’Avignon et avec Avignon Festival et Compagnies, l’association collecte des places gratuites qu’elle redistribue auprès de ses 250 partenaires sociaux locaux. Mais la question du prix des billets n’étant pas le seul frein à une pratique de spectateur par tous, des bénévoles formés à la médiation accompagnent la réception et l’analyse des spectacles. Ils participent à la « formation » des spectateurs et au réveil des curiosités. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de partager largement le festival sur le territoire.

Tisser des liens

Tisser des liens
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Les balbutiements du festival ont été marqués par un lien fort entre les comédiens et techniciens d’une part et les habitants d’autre part. Pourtant, l’intimité et la simplicité de la relation semblent s’être émoussées avec le temps.

Les rencontres footballistiques de Bagatelle (île de la Barthelasse) entre l’équipe du TNP et l’Olympique avignonnais symbolisent bien le souci du lien établi avec la ville. En 1954, une pétition de soutien à Jean Vilar, dont la démission menace, compte plusieurs milliers de signataires et témoigne de la variété du public : du ciné- club aux employés des grands magasins de prêt à porter, en passant par les cheminots, les employés du gaz et de l’électricité, le personnel et les cadres de la poste et des banques, etc.

Le lien entre les habitants et leur festival semble s’être distendu à partir de la deuxième moitié des années 1960, avec la montée en puissance de l’évènement, le renouvellement des troupes et des metteurs en scène et le développement du « hors-festival ». La multiplication des lieux de spectacle et l’emprise tentaculaire de la manifestation sur l’espace urbain ont donné à ce rendez-vous annuel des airs moins familiers. Cependant, la construction de la FabricA, accompagnée des résidences d’artistes et des liens qu’elle occasionne toute l’année avec les habitants, ou encore les « rendez-vous des curieux », développés par Hortense Archambault et Vincent Baudriller, tentent de recréer un contact local privilégié.

Les premières années, celles de la débrouille et du plaisir de la nouveauté, ont offert à tous la possibilité de trouver sa place dans un projet exigeant et de contribuer à la réussite d’une entreprise qui leur était destinée.

 

Les années du Théâtre national populaire ont, elles, apporté l’expérience et les forces logistiques de Chaillot. Elles furent aussi marquées par une grande stabilisation de la troupe. À Avignon, cette troupe prenait ses quartiers d’été. Retrouver chaque année les mêmes artistes, les mêmes équipes, dans la même ville faisait l’effet d’un véritable rendez-vous. La répétition donnait la possibilité de se créer des habitudes, des rituels. Les conférences et débats du Verger ont aussi eu un rôle dans la proximité qui a pu s’établir entre les gens de théâtre et les habitants.

"Nous sommes simplement quelques spectateurs (de ceux qui font queue au guichet) et nous préférons le Festival de Vilar au festival du comité. (...) Le Festival est une chose qui dépasse maintenant Avignon mais qui est une de ses gloires. Nous tenons à le garder. Mais il n'est Festival que de Vilar."

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Interagir avec le festival

Interagir avec le festival

Le dialogue avec le public est une particularité historique du Festival d’Avignon. Jean Vilar et Paul Puaux ont fait vivre à Avignon l’idéal du « spectateur participant ». Cela se traduisait par la volonté d’impliquer le public dans le spectacle comme « résonateur », de solliciter son esprit de curiosité et son goût pour les textes.

Dans  les  années  1970,  les  initiatives « Théâtre Ouvert » et

« Gueuloir » de Lucien Attoun, dans la programmation du In, offraient aux artistes l’opportunité de tester des textes face à un public impliqué.

 

Le groupe de spectateurs constitué en 2006 sur la proposition d’un ancien ingénieur en génie civil, inspiré par ses pratiques professionnelles, ne compte pas de spécialiste revendiqué des arts vivants. La cinquantaine de membres avignonnais de ce groupe s’est rassemblée autour du projet d’exprimer des expériences de réception : chaque contributeur fixe par écrit ou dans une production artistique ses « ressentis » face aux spectacles auxquels il a été. Alain Maldonado compile en un recueil annuel les « Ressentis du Groupe Miroir », qui est remis à la direction du In, mais aussi au groupe de recherche sur la sociologie des publics du festival de l’université d’Avignon. Miroir à facettes tendu au Festival et aux artistes qui y ont été programmés, cette démarche réaffirme le rôle « participant » du spectateur et fait résonner le spectacle bien après le « noir ».

Avignon Festival et Compagnies entend aujourd’hui développer les interactions entre les artistes et les spectateurs au sein du Village du Off. Permettre des rencontres, des débats, et impliquer le public au-delà d’un acte de consommation des spectacles marque une nouvelle étape dans une tentative de structuration du Off.

L’association des Amis du Festival, née informellement en 1982, est un autre exemple d’interaction avec le festival, cette fois de manière organisationnelle. Son dessein était de rassembler des bénévoles avignonnais amoureux de théâtre et de rencontres, qui se chargeraient de l’accueil et de l’accompagnement des compagnies programmées dans le In et apporteraient une aide logistique au Festival : accueil en gare ou à l’aéroport des artistes, organisation et accompagnement de sorties touristiques, aide pratique pour le séjour, aide au régisseur des lieux de représentation, participation à l’organisation de la première journée d’ouverture de la billetterie du Festival, etc. Le mouvement de professionnalisation du secteur culturel a impliqué peu à peu une prise en main plus directe de ces missions par l’administration du Festival.

Loger et nourrir un temps tout ce monde

Loge et nourrir un temps tout ce monde

Le festival d’Avignon rivalise avec celui d’Édimbourg pour le rang de premier festival de théâtre au monde. Il occasionne aujourd’hui une population additionnelle de presque 32 000 personnes par jour, dont plus du tiers dort à Avignon.

La ville accueillait déjà bien avant l’avènement du festival un flux régulier important de touristes. Et en remontant l’histoire, on peut identifier le développement d’une habitude d’accueil en lien avec l’installation des papes dans la cité au 14e siècle. La présence du pape s’accompagnait en effet de celle des cardinaux, logés en ville, et elle a engendré l’implantation de très nombreuses communautés religieuses représentées localement.

 

Ces dernières années, on peut estimer à presque 5000 le nombre de professionnels du théâtre présents en ville dès le mois de juin pour préparer les lieux de la manifestation et y répéter. Mais dès le début du festival, la population présente à Avignon gonfle littéralement. Car contrairement à certaines idées reçues, de récentes études de l’Observatoire de Vaucluse Tourisme montrent que les Avignonnais ne quittent pas massivement la cité au mois de juillet, mais bien plus au mois d’août.

Il faut donc loger et nourrir tout le monde. Une économie temporaire se met en place. Des cafés et des lieux de restauration éphémères fleurissent dans le centre-ville, des garages pendant l’année deviennent théâtres, et des théâtres du festival lèvent le rideau métallique baissé les 11 mois précédents. On imagine mal que le haut-lieu du Off que représente la tumultueuse rue des Teinturiers prenne quelque peu des airs de belle endormie hors saison… Pourtant, le festival laisse sa trace le reste de l’année, en creux, par son absence.

Lutter contre l'envahisseur ou partir

Lutter contre l'envahisseur ou partir

Le phénomène festivalier a pu et peut déranger par le fait qu’il impose un rythme à la ville et la focalise sur l’évènement. Les habitants de l’intra- muros qui ne quittent pas momentanément la ville et qui, pour autant, n’affectionnent pas ce rendez-vous, n’ont d’autre possibilité que de vivre avec et de s’y adapter.

Le festival suscite aujourd’hui des postures d’adhésion, d’indifférence ou de rejet clairement marquées au sein de la population locale. Il n’en a pas toujours été ainsi et, si l’arrivée de Jean Vilar et de la semaine d’art dramatique n’ont pas enchanté tout Avignon, il n’y eut a priori pas d’expression catégorique de refus.

 

Le renouveau dans la programmation à compter de la 20e édition du Festival a pu dérouter un certain public et produire une forme de rupture. Mais c’est surtout l’emprise sur l’espace urbain, la multiplication des lieux de représentation, l’avènement fulgurant du hors-festival, et les effets d’un changement d’époque avec la rupture de 1968 qui ont engendré une mutation dans le rapport qu’entretenaient les Avignonnais avec « leur » festival.

 

Le festival n’a plus pu se résumer au Festival avec sa majuscule, sa programmation, son palais et ses habitudes. Le festival s’est imposé comme un évènement annuel récurrent où la ville est prise d’assaut, saturée, rebelle, grouillante. La cohabitation entre des festivaliers en vacances, détendus, et des habitants allant travailler et souhaitant continuer le cours habituel de leur quotidien a été plus incertaine.

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Si des Avignonnais se languissent de l’air de fête que le festival donne à leur ville et souhaiteraient presque qu’il puisse durer toute l’année, d’autres l’ignorent ou le regardent de loin. Certains le subissent, comme une invasion, une dépossession, une période très désagréable.

J’ai été dégoûtée de 1968. Ça a été un choc, toute cette faune place de l’Horloge (…). On avait une impression d’insécurité. 

Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire au CCAS, avril 2016.

Les débats, manifestations, heurts, paroles et revendications qui ont accompagné le déroulement du festival de 1968 ont fortement marqué la mémoire avignonnaise. Certains pensèrent dès lors que le festival apportait, importait, à Avignon désordre et décadence et militèrent pour le non renouvellement du festival.

L’article au vitriol de Jean Cau, paru dans Paris Match en 1977, a entretenu cette idée d’invasion décadente. D’autres publications ont critiqué un festival estimé trop parisien, tant dans sa programmation que dans son public, portant la parole d’Avignonnais qui dénonçaient un In dans lequel ils n’avaient plus de repère, qui les mettait dans une position d’inconfort ou d’incompréhension et qu’ils jugeaient élitiste. Il est avéré que les années 1980-1990 ont marqué une forme de rupture entre le In et une partie du public avignonnais.

 Le In n’intéresse que les intellos qui sont d’ailleurs très partagés sur la qualité.

Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire au CCAS, avril 2016.

J’ai quitté Avignon pour aller vivre à Chartres entre 1969 et 1992. En revenant, je ne reconnaissais plus la ville. (…) On avait du mal à rentrer en voiture, il y avait du monde partout, du bruit la nuit. C’était trop. 

Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire au CCAS, avril 2016.

Mais le temps du festival a aussi été critiqué en ce qu’il produisait excès et abus. Excès de publicité, de foules, d’offre de spectacles, de prix, de déceptions, de différences, de bruit incessant, de saleté des rues.

Entre fascination, fierté et écoeurement

Entre fascination, fierté et écoeurement

Même si on entend beaucoup les voix qui s’élèvent contre le festival et le phénomène de dépossession qu’il produit, les Avignonnais sont souvent fiers de la renommée que leur ville tire de son festival depuis près de 70 ans. Il a donné à la cité une notoriété contemporaine différente de celle que portait le palais et l’histoire des papes ou encore la légende et la chanson du pont Saint-Bénezet.

 « Chaque année, on se dit "je ne pourrai pas". Écœuré par l’abondance, nauséeux de cette grande foire, fatigués à l’avance de ce tout et ce n’importe quoi (…). Et puis, (…) le goût et même la gourmandise vous reviennent peu à peu. »

(Laurence Abel, Jean Vilar raconté au jeunes et aux autres, 2011)

Disposer en avant-première d’artistes de renom et de spectacles qui seront donnés partout en France a toujours procuré une impression de privilège. La profusion de choix, tant dans la programmation du In que dans l’offre spontanée du Off, fascine et attire une partie des habitants. Et si le festival est vécu comme un moment hors- norme, en rupture avec le quotidien, il tient aussi place de repère annuel ritualisé depuis près de 70 étés.

(Josseline Nachez, témoignage écrit, avril 2016)

J’attends toujours le festival avec impatience, (…) c’est comme la rentrée des classes : on découvre à chaque fois quelque chose de nouveau. (…) Je suis fière que le festival ait lieu dans ma ville. C’est un évènement unique.

« Le festival est devenu plus commercial que culturel. » « Il y a trop d’affiches. On n’y voit rien. On n’arrive pas à faire des choix. » « Dans le Off, il y a la quantité, mais il manque la qualité. »

(Anonymes, témoignages oraux recueillis lors d’un atelier mémoire du CCAS, avril 2016)

L’abondance, au contraire, peut aussi produire une sensation de trop-plein, d’écœurement. Beaucoup d’Avignonnais dénoncent une impuissance face à la prégnance des enjeux économiques du Off, les abus d’habitants qui profitent de la situation, la surenchère du nombre de spectacles d’une année à l’autre, et ont une impression de vaste supermarché du spectacle. Nombre d’habitants n’ont pas accepté le processus de marchandisation culturelle auquel le festival n’a pas échappé, faisant de la ville la grande vitrine des arts vivants, programmés ensuite dans les salles françaises.

La "manne" du festival

La manne du festival

Les retombées économiques du festival d’Avignon est le titre d’une étude réalisée par le Bureau des prévisions économiques en 1986. Si ce rapport a 30 ans et que les montants sont exprimés en francs, il n’en dresse pas moins des constats que la suite de l’histoire du festival n’a pas contredits.

J’ai loué mon appartement une année. Ça aide pour payer les impôts locaux quand on est un peu juste…

(Anonyme, témoignage oral recueilli lors d’un atelier mémoire du CCAS, mai 2016)

Pour certains acteurs de la ville, la présence du festival correspond à une rentrée d’argent non négligeable. Le public du festival représente une demande commerciale importante pour la cité et donne une coloration particulière à l’économie touristique locale. Nombre de commerçants vivent au sens propre du festival. Certains proposent une activité marchande à l’année, dont le mois de juillet correspond à un temps fort du chiffre d’affaire, voire essentiel dans l’équilibre de leur activité annuelle. Des formes de commerce éphémère apparaissent aussi le temps du festival ou de l’été, en particulier dans la petite restauration.

 

L’évènement a aussi longtemps charrié son lot de vendeurs de rue, de micro-artisanat, de boutiques improvisées. Ces pratiques sont aujourd’hui plus réglementées, surveillées et pour certaines interdites. Le festival des années 1970 a ainsi vu l’essor du marché des artisans, que les Avignonnais appelaient communément le « marché des hippies », place du Palais.

Il a déménagé rue Molière en 1973, puis le long des remparts, à proximité de la porte de l’Oulle. Un autre marché emblématique de l’identité festivalière perdure : le marché aux livres. Promu par les bouquinistes avignonnais, on y vend, parmi d’autres choses, une littérature autour du théâtre et de son histoire. Ce marché a déménagé à plusieurs reprises, de la place des Carmes au cours Jean-Jaurès, puis sur la place Saint-Didier.

 

Pour les particuliers, le festival fait souvent figure d’aubaine. Véritable marché captif, l’hébergement des compagnies et des festivaliers constitue une demande très abondante à laquelle l’hôtellerie n’est pas la seule à répondre. Pour certains Avignonnais, l’aspect économique est parfois l’unique  rapport  entretenu  avec le festival, faute de temps ou d’intérêt. Cette économie, souvent grise, est un des aspects du couple que forment le festival et la ville qui l’héberge.

"Je vais au festival" 

Je vais au festival

Le festival transforme la ville et ses habitants, son organisation, son rythme… le temps du festival, seulement, hélas. La ville se transforme en théâtre géant et en flânerie nocturne très agréable.

(Josseline Nachez, témoignage écrit recueilli lors d’un atelier mémoire au CCAS, avril 2016)

« Aller au festival » est l’expression répandue à Avignon pour signifier

« aller se promener intra-muros, voir des spectacles de rue, la parade du Off, et prendre un bain de foule festif ». Aguigui Mouna, véritable

« institution », et ses répliques décapantes étaient le prétexte de  sorties entre amis à la fin des années 1970. Les spectacles « au chapeau », place de l’Horloge ou place du Palais, ont marqué la mémoire de beaucoup d’enfants d’Avignon. La parade d’ouverture du Off est aujourd’hui un défilé loufoque et festif grand public convoité. L’expression « je vais au festival » et ce qu’elle recouvre soulignent donc à quel point, avec le Off, la ville entière est devenue une scène. Avignon elle-même, ou du moins son centre- ville, est un théâtre où l’on se rend pour voir le spectacle de la métamorphose de la cité.

Jean Vilar souhaitait que le théâtre sorte des lieux conçus pour lui, institués et conventionnels. À Avignon, il a investi des espaces atypiques. Avec la grande parade du Off, la rue est impliquée d’une manière nouvelle.

L’expression « aller au festival » fait fi des spectacles dévoilés dans des lieux organisés. Cette réalité de parcours d’un espace et d’un moment souligne à quel point le festival n’est pas seulement ce qu’il a souhaité être. Elle dit aussi combien sont différents les usages, les pratiques, de cette manifestation. Comme toute forme culturelle, le festival d’Avignon est d’abord une affaire de réception, plurielle.

Le festival ? Je l'ai déjà vu...

(Matthieu, bribes, 2016)

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Bibliographie

Cette bibliographie ne se veut pas exhaustive. Elle indique les ouvrages utilisés dans le cadre de la préparation de l’exposition et du catalogue et a pour but de donner des pistes de lecture à celles et ceux qui souhaiteront explorer plus avant les sujets abordés.

Comme l’ensemble des contenus de l’exposition, la bibliographie n’a pas fait l’objet d’actualisation depuis l’exposition initiale (2016)

Bibliographie

Sources

Les cotes indiquées sont celles des sources consultées dans le cadre de la préparation de l’exposition et du catalogue. On ne trouvera pas ici de repérage systématique des sources conservées sur le sujet. Un guide des sources communales relatives au festival est disponible aux Archives municipales d’Avignon.

L’exposition virtuelle L’Avignon du Festival est la transposition d’une exposition temporaire réalisée par les Archives municipales d’Avignon. Inaugurée le 6 juillet 2016, l’exposition initiale a été présentée pendant 12 mois (2016-2017) dans la cour intérieure et sur les murs extérieurs du bâtiment sous la forme de panneaux. Elle a été accompagnée et prolongée par un catalogue d’exposition.

Remerciements

Un très grand merci est adressé à l’équipe des Archives municipales d’Avignon. Chacun a contribué, à un moment ou un autre, à la réussite du projet d’exposition.

Les personnes et organisations ci-dessous sont remerciées très chaleureusement.

Pour leur précieuse collaboration :

- Les Amis du Festival (Roger Marchi)

- L’Association Jean Vilar à la Maison Jean Vilar - MJV (Jacques Téphany, Frédérique Debril)

- Avignon Festival et Compagnies (Raymond Yana, Marion Folliasson)

- Avignon Tourisme (Sandrine Hours) et Vaucluse Tourisme (Alain Gévodant)

- Le Département des Arts du spectacle de la Bnf – antenne de la Maison Jean Vilar - MJV (Lenka Bokova et son équipe)

- Le Festival d’Avignon (Olivier Py, Paul Rondin, Philippe Varoutsikos, Virginie de Crozé)

- Le Groupe Miroir (Alain Maldonado)

Le Palais du Roure - PDR (Louis Millet, Alain Barnicaud)

- Le service Animation Retraités du CCAS (Jean-Michel Brotons et ses collègues)

- Le service du Plan et la mission SIG de la Ville d’Avignon (François Segura, François Ganz)

Pour leurs contributions personnelles, leurs aimables autorisations et leur confiance :

 

- Les participant-e-s des groupes Mémoire du CCAS

- Michel Benoit (avignon.midiblogs.com)

- Nicole Chapuis-Martane, Dominique Py, Lila Bergon

- Marie Loury-Quairel

- Sarah Maupetit

- Pia Molinard

- Jérôme Molliex

- Josseline Nachez

- Marion Pochy et Dominique Durand

- Jacqueline Poggi

 

Pour leurs conseils éclairés, leur aide ou leurs attentives relectures :

 

Rémi Legros, Dominique Brandolin, Thierry Lecrès, Adeline Rivoire, Corinne Roux, Amaury Catel, Romain Vanel, Laurence et Guy Rodet

Crédits

Une production Ville d'Avignon

Cécile Helle, maire d’Avignon, 1ère vice-présidente du Grand Avignon

Réalisation originale

Archives Municipales, 2016

Transposition virtuelle

Archives Municipales, 2021

Commissariat général

Sylvestre Clap, directeur des Archives municipales d’Avignon

Aure Lecrès, adjointe au directeur, cheffe du service des publics

Recherches historiques, documentaires et iconographiques  Sophie Ambrosio, Martine Bricard, Aure Lecrès, Yves Schleiss, Louis Weber

Textes

Aure Lecrès

 

Numérisations et prises de vue

Sophie Ambrosio et Yves Schleiss

Transposition virtuelle

Anna Furget--Bretagnon et Aure Lecrès

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